Mobiliser le génie écologique et végétal dans les projets d’aménagement

Enquête - Le 11 février 2022



Vue aérienne de la plage de Pampelonne avec le système de casiers délimités par les ganivelles. © Lionel Laforêt.

Génie écologique, génie végétal, voire génie biologique… Il n’est pas toujours facile de bien les distinguer. Une chose est certaine cependant, ces techniques et activités, jusqu’à peu considérées comme l’apanage des scientifiques, sont désormais partie prenante des projets d’aménagement et en pleine expansion que ce soit en milieu rural, urbain ou périurbain. Décryptage.

Le génie écologique est défini comme l’ensemble des activités d’études et de suivis, de maîtrise d’œuvre et de travaux favorisant la résilience des écosystèmes et s’appuyant sur les principes de l’ingénierie écologique. Il permet notamment la reconstitution de milieux naturels, la restauration de milieux dégradés et l’optimisation de fonctions assurées par les écosystèmes1. Dans ce cadre, l’objectif vise prioritairement à préserver et à restaurer la biodiversité et la fonctionnalité de l’écosystème considéré. Cette approche permet notamment d’améliorer la qualité écologique des zones urbanisées dans lesquelles, depuis l’adoption de la loi Grenelle 1 en 2009, les impacts des projets d’infrastructures doivent être évités, réduits et/ou compensés2.

Elle est donc particulièrement utile dans la mise en œuvre de l’écologie urbaine, le maintien de la biodiversité, l’aménagement de zones humides pour la gestion des eaux pluviales ou encore la mise en application des trames verte et bleue.

Ces nouveaux chantiers, dont les conditions sont toujours différentes, mobilisent des compétences élargies, depuis l’amont de la chaîne avec les bureaux d’études qui réalisent les études d’impact et fournissent leurs recommandations, jusqu’à l’aval avec les entreprises spécialisées dans la restauration des écosystèmes dégradés. Pour autant, « le génie écologique doit rester une capacité de travail et une méthodologie gérées par les entreprises du paysage qui travaillent en synergie avec des écologues, des ingénieurs etc. », détaille Lionel Laforêt, directeur technique à la Société Provençale de Paysage. Dit autrement, il s’agit de valoriser l’expertise métier qui repose d’abord et avant tout sur le végétal et l’environnement dans lequel il sera mis en œuvre.

Le génie végétal s’entend quant à lui comme l’ensemble des techniques utilisant les végétaux et leurs propriétés mécaniques et/ou biologiques, pour la gestion des milieux dégradés aux niveaux mécanique, chimique ou biologique3. Concrètement, cela signifie contrôler et stabiliser les sols et sous-sols ; épurer, et dépolluer le cas échéant, les sols et les eaux ; restaurer, créer ou conserver les milieux en y intégrant une composante paysagère. Cela nécessite d’une part une vision globale du projet et du milieu à toutes les échelles et d’autre part une maîtrise du végétal pour générer les bonnes associations en vue de l’objectif d’utilisation.
« Le génie végétal et le génie écologique sont intimement liés », corrobore Hervé Meyer, paysagiste conseil de AHM – Atelier Hervé Meyer, qui poursuit, « le métier de paysagiste est à ce titre voué à évoluer en revenant aux fondements biologiques, écologiques et botaniques de l’aménagement d’un paysage et de ses évolutions. L’étude de la dynamique végétale existante est fondamentale pour respecter le cortège floristique, les écosystèmes et les écotones4. Reconstituer la fonctionnalité d’un milieu est le meilleur levier pour permettre sa durabilité et son adaptabilité face aux changements climatiques. »

 

La preuve par l’exemple : la renaturation de la plage de Pampelonne (83)

Projet d’envergure débuté en 2018 et en cours de finalisation cette année, le chantier porté par la commune de Ramatuelle s’est inscrit dans une approche globale destinée à permettre l’accueil du public (jusqu’à 30 000 visiteurs par jour), l’accessibilité à la mer et la pérennité d’un site naturel remarquable sur 50 ha et 4,5 km de littoral. La plage de Pampelonne était en effet fortement fragilisée par un demi-siècle de pression touristique et balnéaire répétée qui avait mis en péril l’intégrité du milieu dunaire et accru l’érosion ainsi qu’augmenté les tempêtes et la destruction d’installations trop proches du rivage.  

« Nous avons articulé notre démarche paysagère à partir de la réorganisation de la fréquentation du site par le public via la création de surfaces de stationnement adaptées et intégrées, une redéfinition des circulations douces sur l’ensemble du site, une mise en protection du cordon dunaire et une stabilisation de ce dernier par une politique volontariste de replantation. La végétalisation de la dune et de l’arrière-dune s’est faite en étroite collaboration avec le Conservatoire botanique national méditerranéen (CBNMED) et le Parc national de Port-Cros afin d’effectuer les choix de végétation les plus judicieux dans le respect du patrimoine génétique végétal et des contraintes du lieu », explique Hervé Meyer.

Des prélèvements de graines et de boutures ont été réalisés en amont puis mis en culture de façon rigoureuse avant d’être plantés progressivement sur site sur une période de deux ans, au fur et à mesure de la mise en place des casiers et de la pose des ganivelles5. L’objectif, après avoir éradiqué les plantes invasives, était de limiter la pollution génétique du milieu par l’introduction d’espèces exogènes et de garantir la meilleure reprise possible des plantations effectuées avec un taux de réussite de 98 % sur plus de 100 000 plants ! « Nous avons pu constater une réelle dynamique d’implantation de colonisation de ces plantes qui, même sans arrosage ni méthodes culturales et dans des conditions difficiles (sable pur, embruns etc.) se sont adaptées, d’abord par leur enracinement puis par le développement des parties aériennes », renchérit Lionel Laforêt, pour qui l’enjeu était d’obtenir autant que faire se peut une végétation spontanée. L’utilisation de terre végétale et de compost locaux a parallèlement été favorisée dans les zones arrière.


De gauche à droite : fourniture végétale en godets anti-chignon suite aux prélèvements et à la mise en culture. Cordon dunaire revégétalisé au bout d’un an. Développement de la végétation après un an de plantation. © Lionel Laforêt

Et dans d’autres milieux ?

« Les exigences urbaines sont différentes en ce qu’elles répondent davantage aux contraintes de régulation thermique, d’écologie et de biodiversité », souligne Hervé Meyer. L’approche par génie écologique interroge sur la raréfaction des espaces de nature dans la ville et s’inscrit résolument dans des principes de développement durable : réduction des effets d’îlots thermiques, diminution des eaux de ruissellement, contribution à une meilleure santé publique, amélioration de la qualité de l’eau et de l’air, accroissement de l’efficacité énergétique des bâtiments et promotion de la biodiversité en ville (abris et refuges écologiques). Il n’est toutefois pas toujours facile de s’intégrer dans des milieux très urbanisés, en dehors des écoquartiers ou d’espaces plus restreints où il est possible d’avoir des interventions précises comme l’installation de nichoirs à insectes en complément d’une végétalisation de terrasse. « Le génie écologique peut s’appliquer à bien des contextes : terrains montagneux, aménagements ou stabilisations de berges, passages à faune sur les autoroutes… », complète Lionel Laforêt. 

« Concevoir les paysages de demain à partir de l’analyse des sites est primordial : l’étude approfondie du terrain nous donne les clés pour tirer les enjeux sociaux, politiques, économiques et environnementaux et proposer un projet qui a du sens dans le temps long », conclut Hervé Meyer.

 

POUR ALLER PLUS LOIN
Rendez-vous au colloque « Génie écologique – tour d’horizon des enjeux pour les acteurs du paysage », le 10 mars 2022 au Parc Nautique départemental de l’Île de Monsieur (Sèvres-92).

 

1 Unep, N.C.4-R0 : Travaux de génie écologique, 2019.
2 Depuis 2016, la séquence « éviter, réduire, compenser » a été rendue contraignante pour tous les porteurs de projets qu’ils soient publics ou privés.
3 Unep, N.C.1-R0 : Travaux de génie végétal, 2015.
4 Zone de transition entre deux écosystèmes, où les conditions d'environnement sont intermédiaires.
5 Clôtures faites de planches ou de piquets de bois.