« Un rêve de musique et de jardins »

William Christie, fondateur de l’ensemble Les Arts Florissants et du jardin du Bâtiment
Point de vue - Le 29 septembre 2020


William Christie dans son jardin. © Luc Castel.
Le chef d’orchestre et claveciniste franco-américain William Christie, fondateur de l’ensemble Les Arts Florissants et du jardin du Bâtiment à Thiré en Vendée, revient sur le lien historique entre musique et jardin ainsi que sur l’importance de l’engagement des territorialités dans la pérennité des sites culturels et des espaces verts.


Claveciniste et chef d'orchestre franco-américain, William Christie est le fondateur de l'ensemble de musique baroque Les Arts Florissants et des jardins du Bâtiment à Thiré en Vendée, domaine qu’il a acquis en 1985 et labellisé Jardin remarquable en 2004 et Centre Culturel de rencontres en 2016. Il a créé le Festival Dans les Jardins de William Christie en 2012 et le Festival de Printemps en 2017. Depuis trois ans, le domaine est sous l’égide d’une Fondation qui a pour mission de pérenniser l’activité des Arts Florissants, sur le plan artistique (musique baroque et art des jardins), pédagogique et patrimonial. À ce jour, il s’agit du seul exemple de fusion d’un ensemble musical international avec un site patrimonial.


Photo portrait : William Christie dans son jardin. © Luc Castel.

Maestro, vous avez déclaré « Le lien entre musique baroque et l’art des jardins est historique. » En quoi le végétal constitue-t-il un écrin idéal pour la musique baroque ?

Depuis l’Antiquité et l’idyllique Arcadie le jardin est un lieu de détente, agréable, y compris pour les concerts et la musique. Et que dire de Versailles qui, dès l’origine, a été conçu comme un lieu de rencontres, de parade et de musique. De fait, l’association entre jardin et musique est un thème récurrent en Europe tout au long des 16e, 17e et 18e siècles. C’est cette tradition qui m’a inspiré pour la création du jardin, ou plutôt des jardins, de Thiré. Un peu comme Haendel, qui proposait des concerts en plein air dans sa maison de Brook Street à Londres, mon objectif était de disposer de plusieurs espaces, tel que le théâtre de verdure ou encore le miroir d’eau qui, chacun à sa manière et avec sa personnalité, puisse accueillir des visiteurs et/ou des musiciens. Il y a un lien indissociable entre le logis, le jardin et le paysage environnant.

Qu’apporte cette « scène nature » aux musiciens mais aussi aux spectateurs et que n’a pas une scène classique ? Comment se crée cette alchimie particulière du passage entre le dedans et le dehors, notamment en cette période si particulière ?

Le dénominateur commun est la beauté. Le jardin ajoute au plaisir de la musique, c’est une expérience esthétique qui conjugue le pépiement des oiseaux, la lumière, le murmure de l’eau à la mélodie. Pas une partition écrite entre 1650 et 1800 n’échappe à la mention d’un jardin, le plus souvent perçu comme un lieu d’agrément, même s’il peut aussi être troublé quelquefois. Et la nature est toujours associée à la musique.
Ces derniers mois ont été marqués par une chute vertigineuse des activités culturelles. Nous avons effectué un gros travail et sommes fiers d’avoir maintenu le jardin ouvert avec le soutien indispensable et inconditionnel du Département de la Vendée. Nous sommes même parvenus, lors du déconfinement, à augmenter les jours ouvrables en y intégrant de petits concerts, les « préludes ».
Nous avons compris qu’il fallait répondre au besoin de nature des gens et qu’il était nécessaire que le public, même avec le protocole sanitaire, puisse continuer à venir. Nos visiteurs avaient autant besoin de voir des fleurs ou des légumes, que d’entendre de la musique, que d’obtenir des renseignements avec la complicité des jardiniers.
Deux mécènes nous ont apporté leur support ce qui a aussi été le moyen de créer de l’emploi pour des musiciens, des chanteurs et des instrumentistes de la famille des Arts Florissants.

Comment gérez-vous au quotidien un tel jardin ?

Entretenir un parc de presque 3 ha est une activité complexe qui requiert des participations différentes et, là aussi, un chef d’orchestre… J’y passe le plus de temps possible en fonction de mon emploi du temps ! Concrètement, les travaux quotidiens de tonte et de taille sont assurés par une entreprise spécialisée tandis que des pépinières locales nous conseillent et nous fournissent en végétaux.  
Pour tout ce qui est plantations et créations, je suis secondé par deux jardiniers, ce qui est un immense luxe à l’heure actuelle, et par plusieurs stagiaires d’écoles d’horticulture et du paysage qui viennent de Blois, d’Angers, et même de l’étranger. Ces collaborations à plusieurs échelles constituent une expérience pédagogique sans précédent.

Quel rôle jouent les professionnels du paysage et de l’horticulture ?

La Fondation bénéficie d’un conseil scientifique de 5 à 6 personnes provenant d’horizons et de pays différents (États-Unis, Grande-Bretagne, Allemagne…). Marc Barbaud, ancien jardinier de l’Élysée et aménageur des Jardins de Chaligny en fait également partie. L’horticulture c’est aussi et surtout un échange d’idées, d’essences, d’informations. Croiser nos regards nous permet de lutter plus efficacement contre les attaques des nuisibles, de diversifier les plantations, d’augmenter les variétés de bulbes… au bénéfice d’un jardin toujours plus beau !

Qu’apporte le Jardin éphémère à la notoriété du domaine ? à la valorisation de la filière ?

Il s’agit d’une carte blanche annuelle avec des règles bien définies : de jeunes paysagistes ou horticulteurs doivent créer un jardin original pour une durée d’un mois environ (août). Il est en outre installé dans un lieu propice à la musique ou à la rencontre avec les mélomanes, sans nuisances (route ou autre). C’est une autre façon de nouer de nouveaux contacts, de soutenir les jeunes talents et de développer la formation professionnelle. Aujourd’hui nous avons atteint une notoriété incroyable – 9 à 10 000 personnes – qui nous oblige même à refuser du monde.

Un mot pour conclure ?

Le monde ne sera plus le même et, dans ce cadre, notre jardin contribue à le et à se réinventer. Avec des groupes plus réduits, des jours de visite plus fréquents, une offre de concerts plus étendue durant l’été, la mise en place de nouveaux itinéraires, une plus grande diversification des plantations et des soins dans le potager ou la grande serre… L’aventure continue.

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