Regards croisés sur la sélection variétale : méthodes, travail, enjeux et développement

Point de vue - Le 04 janvier 2022


Hydrangea paniculata Vanille-Fraise®. © Sapho.
Hydrangea paniculata Vanille-Fraise®. © Sapho.

Jean-Marc Lecourt, directeur adjoint de DLF Seeds & Science, leader européen en sélection, production et commercialisation de semences de gazons, et Éric Renault, directeur général des Pépinières Renault crées en 1951, confrontent leurs regards sur la sélection variétale en termes de méthodes et thématiques de travail, enjeux et développement.

Comment intégrez-vous la sélection variétale au quotidien et en quoi constitue-t-elle un axe stratégique ?

Jean-Marc Lecourt : Je voudrais préciser en préambule que les gazons sont désormais avant tout des plantes de service dont les bénéfices, aussi bien techniques qu’environnementaux, sont utiles au bien-être de manière générale. Tous leurs caractères sont liés dans une biodiversité qui leur est commune.

En ce qui concerne la sélection variétale, la recherche gazon est tournée depuis des années vers l’adaptation au dérèglement climatique. Nous disposons d’une équipe d’une vingtaine de personnes réparties sur divers sites dans le monde. Nous développons et améliorons dans un premier temps les qualités intrinsèques des espèces et des variétés au fur et à mesure des nouvelles inscriptions, puis dans un second temps nous nous intéressons aux usages et, plus précisément, aux nouveaux usages.

C’est avec le recul qu’on mesure le mieux les avancées, notamment dans les ray-grass anglais (plus de la moitié des espèces). L’espèce qui se diversifie le plus aujourd’hui, ce sont les fétuques élevées avec leurs feuilles très fines, leur résistance à la sècheresse grâce à un enracinement profond et leur rusticité (25 % environ du marché français et en progression constante). Cette famille a aussi la particularité d’être homogène, une qualité recherchée par les usagers.

Hydrangea sargentiana. © Pépinières Lafitte.Éric Renault : Pour nous, la sélection variétale est avant tout une histoire de passion. Nous nous inscrivons dans le cadre d’une entreprise familiale avec une tradition qui remonte à loin puisque c’est l’introduction des premiers pieds de kiwi par mon père dans les années 1960 qui nous a fait connaître au niveau national ! De fil en aiguille, nous avons persévéré dans une optique d’émulation avec, objectivement, des échecs en cours de route, mais aussi de très belles réussites comme l’Hydrangea paniculata Vanille-Fraise® qui nous a ouvert les portes du monde entier et en particulier en Russie.

Hydrangea sargentiana. © Pépinières Lafitte.

Pour ce qui est de la sélection variétale, nous nous sommes longtemps appuyés sur le SAPHO, une structure créée en 1974 sous la houlette de l’INRA. À cette époque, il y avait peu de programmes de recherche horticole en dehors des rosiers. Les recherches de l’Institut sur la résistance des pommiers à diverses maladies ont débouché sur un « sous-produit » ornemental dont ils ne savaient pas trop quoi faire... Cela a donné naissance à des programmes de recherche avec des groupes de travail regroupant 3 à 6 entreprises pour créer des variétés nouvelles. Aujourd’hui, l’INRA ne fait plus de recherche en ce sens mais nous avons acquis suffisamment de maturité pour poursuivre seuls.
Le marché de la sélection variétale a cependant une porte d’entrée très étroite. En tant qu’obtenteurs, nous essayons de sentir l’air du temps pour savoir quels types de plantes pourraient nous intéresser dans le futur en particulier en lien avec les aléas climatiques. Cela nous donne des axes de travail vers certains domaines même si on se rend compte, 15 ans plus tard, qu’on n’a rien trouvé de ce qu’on avait prévu ! Plus il est facile d’hybrider et plus il est difficile de se différencier de l’existant. Une nouveauté doit se distinguer suffisamment pour être rentable sur le marché final. S’il est somme toute assez rapide de se rendre compte qu’une plante est intéressante par son feuillage, sa floraison ou son parfum, il est beaucoup plus compliqué de prouver qu’elle résiste à la sècheresse ou aux maladies. C’est un travail à long terme et très aléatoire.


Dans quelle mesure la sélection variétale répond-elle aux problématiques urbaines ou péri-urbaines ?

gazon dans parc

 JML : Nous nous orientons prioritairement vers des espèces avec un fort enracinement sur des sols compactés qui est une qualité indispensable pour résister au stress hydrique (ray-grass 4n, fétuque élevée). Nous nous intéressons aussi aux espèces qui se comportent bien avec une faible nutrition et fertilisation et peu de besoins en intrant, notamment en eau, comme la fétuque ovine. Le revers de la médaille est leur moindre résistance au piétinement. C’est un bon support pour les allées de cimetière par exemple, avec moins de passages mais la nécessité de maîtriser l’enherbement spontané. Il faut que nos solutions soient acceptables esthétiquement. Une autre manière de gérer les herbes folles est de pratiquer un engazonnement contrôlé et alterné dans de multiples contextes (vignes, vergers, maraîchage…) et/ou d’y intégrer des micro légumineuses comme les micro trèfles. Ces dernières permettent de récupérer l’azote de l’air pour le restituer aux graminées par le sol et renforcer ainsi l’ensemble du groupe végétal avec une fertilisation 100 % naturelle.


ER : Nous concentrons nos recherches sur les toitures et les terrasses végétalisées avec des produits (tapis de sédum ou précultivés) adaptés aux sols peu profonds et très minéralisés : descentes de garage, pieds d’arbres, ronds-points, talus.

Exemple de végétalisation engazonnée. © DLF.


Quels sont vos principaux objectifs et les points de vigilance ?

JML : J’en isolerai trois : la résistance aux maladies, l’apport de densité au couvert végétal et l’installation rapide (entre 5 à 10 jours de germination) de façon à éviter le salissement naturel. Le client comme le citoyen ne veut plus de gazon anglais mais ne veut pas nécessairement de prairie pour autant ! Pour le satisfaire, il nous faut jouer à la fois sur les mélanges de semences de plusieurs espèces, pour obtenir les meilleures qualités intrinsèques, et sur la concurrence, qui va s’exprimer en fonction de l’exposition (ombre/soleil) et de la gestion assurée par le jardinier (taille et fréquence des tontes). Nous ne sommes jamais dans un scénario mono variété et notre palette répond à toutes les demandes des usagers en termes de pratiques sportives mais également de maîtrise de l’érosion des sols.

ER : Le premier objectif est d’essayer d’adapter les plantes du sud vers le nord. Le graal serait d’avoir des toitures végétalisées qui s’adaptent à tous les climats dans toute l’Europe ! Il faut ensuite s’affranchir de la mono culture en développant d’autres gammes en fonction des contraintes techniques avec les vivaces par exemple. Enfin, il faut être à l’affut de tout ce qui se fait, en France comme à l’étranger.


En quoi les collectivités contribuent-elles à faire évoluer les choses ?

JML : La gestion différenciée progresse indéniablement, à condition d’apporter des espèces adaptées à ce type d’organisation car toutes ne s’y prêtent pas. Nous constatons également une préoccupation croissante, concrète et très pragmatique, concernant la végétalisation des cimetières et des zones sablées. Il reste à mon avis des progrès à faire sur les terrains de sport. Le support synthétique est certes fonctionnel toute l’année mais, en milieu urbain, artificialiser une surface d’un hectare ou plus pouvant participer à la baisse de la température ambiante, c’est tout de même dommage.

ER : Notre priorité reste de faire ce que le client peut demander et pour cela tout le monde met la main à la pâte. Les pôles de compétitivité tel que Vegepolys Valley au sein duquel évolue Plante & Cité sont des relais et des soutiens inestimables. Les chercheurs privés en ont grandement besoin !

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