« L’esthétique ne doit pas faire négliger les contraintes techniques »

Point de vue - Le 23 juin 2023


Vue aérienne du Biotope. © Javier Callejas.

Les toitures végétalisées sont le marqueur fort du projet Biotope de Lille, mention spéciale technique aux Victoires du Paysage 2022. Le bâtiment, imposant, est adouci par de grandes ouvertures donnant sur des espaces extérieurs émaillés d’arbres et d’arbustes, aboutissement d’une réflexion complexe menée dès la conception. Julie Antoine, ingénieur-paysagiste, gérante chez Paysatech, nous en illustre ses principales composantes.

 

Comment ce projet tertiaire a-t-il intégré la composante végétale ?

L’origine de ce bâtiment provient d’un appel à projets pour accueillir l’Agence européenne du médicament qui cherchait à quitter Londres lors du Brexit. C’est le groupement Linkcity, Bouygues Construction et le cabinet d’architectes et de paysagistes danois Henning-Larsen, qui a remporté le marché. Après obtention de ce dernier, des partenaires locaux ont participé au développement technique du projet : le bureau d’études techniques Paysatech et les pépinières Drappier. Cette collaboration pluriprofessionnelle s’est imposée comme une évidence d’autant que l’approche scandinave intègre beaucoup plus facilement les notions de biodiversité. L’Agence européenne du médicament ayant finalement décidé de s’installer aux Pays-Bas, le bâtiment d’une surface de près de 30 000 m² sur sept étages accueille aujourd’hui le siège de la Métropole européenne de Lille (MEL).

 

Comment s’harmonisent le bâti et l’aménagement paysager ?

Le bâtiment est en matériaux de construction classique (béton et verre principalement), mais son architecture et la forte végétalisation lui permettent de prétendre aujourd’hui à de nombreux labels tels que Biodivercity, Breeam Excellent, Well niveau Gold ou E+C-. La particularité vient des grandes terrasses en béton, dimensionnées en fonction des contraintes de charges, qui accueillent presque à chaque niveau une plateforme végétalisée. La toiture est parsemée de 135 arbres en cépée et conifères, 600 arbustes et 15 000 vivaces ou semi-vivaces répartis sur plus de 5 000 m².

 


À gauche : Détail des terrasses du Biotope © Javier Callejas. À droite : Détail de la palette végétale du Biotope. © Le Prieuré.

 

Quelles contraintes techniques ont dû être prises en compte ?

La palette végétale – locale et résiliente – a été pensée avec toutes les parties prenantes (paysagiste, entreprises, pépinières), y compris avec la ville de Lille et le conservatoire botanique de Bailleul. Pour répondre aux exigences spécifiques des zones d’accueil, les arbres ont été mis en culture en air-pot®3, afin de faciliter leur reprise et de permettre une mise en œuvre tôt en saison (dès octobre) en raison des contraintes de levage et de planning de livraison de l’ouvrage. Nous avons été agréablement surpris de l’excellent taux de reprise des arbres qui se sont extrêmement bien développés depuis 2019… Très peu de végétaux ont dû être remplacés.
 
Parallèlement, le chantier ayant été réalisé dans un planning très contraint, les études étaient encore en cours quand les premiers niveaux de dalle ont été coulés. Sur le bâtiment, nous avons donc eu recours à un substrat dont nous pouvions connaître la composition, les caractéristiques, et surtout le poids de manière précise et constante. La pépinière a accepté de peser les arbres un par un lors de leur mise en air-pot® puis leur croissance a été extrapolée, sachant que leur développement se trouverait plus limité qu’en conditions de pleine terre.

Avec un bâtiment se développant sur neuf étages comprenant des terrasses aux expositions différentes, plus ou moins protégées par des surfaces vitrées susceptibles de créer des courants de vent, la tenue des arbres était primordiale. L’entreprise Le Prieuré a proposé un système innovant, indépendant de la membrane d’étanchéité, permettant l’ancrage des arbres en toiture, tout en leur constituant une réserve d’eau par-dessous. Parallèlement, un bureau d’étude indépendant a été missionné afin de dimensionner sous chaque arbre (en fonction de son poids, son exposition, sa forme, sa hauteur etc.) le nombre de bacs à mettre en œuvre pour en assurer la stabilité dans le temps. Les arbres sont maintenus avec un système classique d’ancrage, hormis les pins qui ont été haubanés en complément.
L’ensemble des plantations est irrigué par un goutte-à-goutte installé sous paillage et piloté à distance par plusieurs programmateurs sur secteur, au vu de la disposition et de l’ampleur du bâtiment. Des sondes hygrométriques, spécifiques au substrat, ont été installées en complément afin de pouvoir piloter l’arrosage de manière plus fine : non plus en fonction des seules précipitations, mais également en fonction de l’hygrométrie du sol.

 

 

Quelles compétences techniques et paysagères particulières ont été nécessaires ?

Très clairement, en phase de conception les éléments les plus importants ont porté sur la maîtrise des réglementations spécifiques au bâtiment qui exigent une plus grande rigueur qu’un espace vert en pleine terre : végétalisation de toiture, mais également platelage sur étanchéité par exemple.
Le levage jusqu’à 30m de haut était également une contrainte : les 1500 m3 de substrat ont été mis en œuvre par soufflage afin de limiter les besoins sur les grues de chantier déjà très sollicitées par les autres lots et les arbres ont été amenés en toiture à l’aide de crochets spécifiques.
Aujourd’hui, l’entreprise du paysage chargée de l’entretien doit conjuguer habilement le respect de la conception initiale, très portée sur la biodiversité et un peu sauvage, avec la vision plus cartésienne des usagers de la MEL… Les déchets végétaux sont ainsi majoritairement laissés sur site pour éviter les exports de matière organique et fertiliser les sols tandis que les évacuations de végétaux excédentaires s’effectuent à travers les bureaux et sont donc à limiter. D’ailleurs, les végétaux s’épanouissant, il faut déjà limiter leur développement dans certains cas pour dégager les circulations et les accès aux équipements techniques. En somme, un projet ambitieux dont nous sommes particulièrement fiers !

« Contrairement à ce que l'on pourrait imaginer, Biotope n'est pas un immeuble de bureau, c'est un paysage dans lequel nous avons intégré quelques espaces de travail qui sont occupés par la Métropole européenne de Lille. » Laurent Mourey, directeur général de Linkcity.

« Vu du ciel, le bâtiment se fait complètement oublier, on n’en perçoit plus qu’un vaste jardin ! » Michel Le Borgne, directeur des Pépinières Drappier.

 

3 Air-pot® est un système de culture en pot qui permet aux plantes de développer un maillage racinaire dense, fibreux et radiaire très rapidement.

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