Gestion intégrée des eaux pluviales : une réponse aux enjeux bioclimatiques et de réchauffement des villes 

Enquête - Le 01 décembre 2022


Bordeaux-Lac, écoquartier du Ginko. © Jean-François Tremege.
Bordeaux-Lac, écoquartier du Ginko. © Jean-François Tremege.

Le triptyque eau/sol/végétal est plus que jamais au cœur des solutions d’aménagement. En l’espace de quelques décennies, les eaux pluviales sont passées progressivement de déchet à évacuer par le « tout tuyau » à ressource à valoriser et à sanctuariser en distinguant in primis la gestion des eaux usées de celle des eaux pluviales. Explications.

 

Les eaux pluviales : quelle réglementation ?

En France, la législation nationale sur l’eau est dispersée dans plusieurs Codes dont les mesures principales proviennent de la loi sur l’eau (2006). Mais c’est l’échelle territoriale qui a la maîtrise de la plupart des dispositifs via la loi Gemapi, la loi NOTRe et l’arrêté du 21 juillet 2015 (voir glossaire). Enfin, d’autres mesures contraignantes à respecter sur un territoire donné sont précisées dans les documents d’urbanisme locaux tels que les SDAGE, SAGE, SCOT, PLUi et autres cartes communales (voir glossaire).
Les espaces publics sont donc soumis à de multiples obligations réglementaires, qu’il s’agisse de requalifications ou de nouveaux projets urbains, à l’échelle d’une ville, d’un quartier, voire d’une copropriété.

Ces outils ont, entre autres, pour objet de pallier l’imperméabilisation grandissante des espaces qui, sous l’effet conjugué de l’urbanisation et du réchauffement climatique (épisodes pluvieux courants plus intenses et de courte durée, pluies vicennales ou cinquantennales), intensifie l’érosion des sols et sature les réseaux de collecte, provoque des inondations, génère la prolifération des éléments polluants charriés par ruissellement.

 

Éviter, réduire, maîtriser

À la base d’une gestion intégrée des eaux pluviales, on trouve trois grands principes :

  • ralentir ou retarder les écoulements au plus près de l’endroit de chute ;
  • accroître les mécanismes d’infiltration et d’évapotranspiration ;
  • récupérer et stocker l’eau, y compris à des fins d’arrosage.


Pour cela, la gamme des solutions techniques est extrêmement variée, de la toiture végétalisée aux fossés et aux noues en passant par la mise en place de bassins de retenue. Les revêtements perméables (substrats et végétations, chaussées poreuses et drainantes, pavés enherbés…) sont également efficaces pour réduire les coefficients de ruissellement avec une moindre emprise au sol ce qui est un atout dans des espaces déjà denses.

Socle du rafraîchissement urbain, la gestion intégrée des eaux pluviales a des bénéfices attendus qui vont bien au-delà de la prévention des inondations. Ils concernent en effet plus largement l’amélioration du cadre de vie et du bien-être, la progression de la nature en ville, la limitation des îlots de chaleur mais aussi la protection des milieux aquatiques. Selon les solutions choisies, différents services et métiers des collectivités sont sollicités selon leurs compétences et leur technicité : infrastructures, voirie, espaces verts, propreté… Travailler en transversalité et selon une logique multifonctionnelle est dès lors un prérequis pour réaliser des aménagements de qualité. La gestion des eaux pluviales doit être intégrée dès la conception de l’espace considéré, en intégrant l’ensemble des paramètres.

 

L’eau au cœur de trois réalisations exemplaires

Le projet de rénovation urbaine du quartier Molière aux Mureaux (78)1 a posé d’emblée l’eau comme liant : « nous avons fait d’une contrainte – un côteau marqué par un ru busé – au sein d’un continuum urbain un peu anarchique, le fil conducteur d’un nouvel espace public apte à réconcilier quartiers et topographie autour de l’eau, de son écoulement et d’une armature végétale structurante », explique Vincent Cottet, paysagiste urbaniste chez Richez Associés. Chaque parcours a été conçu par une succession d’espaces emboîtés et personnalisés (nouveaux logements, venelles, rues recalibrées et hiérarchisées) prévoyant plusieurs niveaux de dispositifs d’infiltration : tranchées drainantes, chaussées-réservoirs, noues, bandes paysagères… « La gestion de l’eau intégrée à la parcelle favorise en outre le rechargement des nappes phréatiques », complète Michel Bernard, gérant du bureau d’études Infra Services. « Ce projet ne fige pas les espaces mais les rend polyvalents à différentes échelles, du plus global au plus local. Face aux dérèglements qui s’accentuent et sont de plus en plus inattendus, il faut privilégier une nouvelle écologie avec une approche moins technique, plus solide et résiliente », conclut Vincent Cottet.


 
Bordeaux-Lac, écoquartier du Ginko. © Jean-François Tremege.


La construction de l’écoquartier du Ginko à Bordeaux-Lac2 (33) s’est pour sa part effectuée sous la double bannière de « cité jardin » et de « ville d’eau ». Les surfaces perméables ont été privilégiées au maximum pour favoriser l’infiltration des eaux de pluie dans la nappe phréatique. Concrètement, les eaux pluviales des voiries et espaces publics sont acheminées vers des noues végétalisées et celles des bâtiments pour partie vers des darses d’agrément fermées, perpendiculaires au lac, qui font office de bassins de rétention. « La prise en compte de la trame bleue et de la gestion hydraulique est clairement un des fondamentaux des nouveaux quartiers », note Nicolas Saettel, architecte chez D&A (Devillers & Associés). La spécificité de Ginko repose sur la part des bassins d’agrément de grande taille. C’est assez rare car les collectivités n’ont pas nécessairement les ressources ou les compétences pour gérer tout ce qui peut relever de la fontainerie, qu’elle soit ludique ou rafraîchissante. »





Gif-sur-Yvette, Jardin argenté. © @EPA Paris-Saclay / Carlos Ayestas.


À Gif-sur-Yvette (91), le jardin argenté, qui est à la fois un lieu de rencontre et d’agrément, se met en charge naturellement par gravité lors d’évènement pluvieux importants et s’inonde dans des cas exceptionnels. Comme l’explique Michaël Toriel, directeur des travaux de l’EPA Paris-Saclay, « le jardin fait partie d’un système hydraulique plus complexe dans lequel chaque espace public du quartier dispose de son système de gestion des eaux pluviales : chaussées drainantes, noues végétalisées, bassins, systèmes enterrés… » (lire le Point de vue de Michael Toriel).

La gestion des eaux pluviales est au cœur de nombreux enjeux : maîtriser les risques d’inondation par ruissellement et par débordement, préserver la biodiversité des milieux humides, protéger la qualité des ressources en eau, embellir la ville… Pour gérer plus efficacement cette ressource et prendre les meilleures mesures d’adaptation, les collectivités peuvent compter sur les expertises des professionnels du secteur : architectes, urbanistes, hydrauliciens, paysagistes.

Glossaire

GEMAPI (2014)
 : la loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles (MAPTAM) attribue aux communes une compétence ciblée et obligatoire relative à la gestion des milieux aquatiques et de prévention des inondations (GEMAPI).
> Lire le Guide GEMAPI et Paysage

NOTRe (2015)
 : la loi sur la nouvelle organisation territoriale de la république (NOTRe) oblige les communautés d’agglomération et les communautés de communes à prendre la compétence assainissement dans sa globalité.

Arrêté du 21 juillet 2015, modifié par l’arrêté du 31 juillet 2020
 : il impose de concevoir un système de collecte apte à acheminer l’ensemble des eaux usées collectées pour traitement avant rejet au milieu naturel, hors situations inhabituelles notamment de fortes pluies. Il institue également de privilégier la gestion des eaux pluviales à la source pour les systèmes de collecte unitaires ou mixtes.

SDAGE
 : schéma directeur d'aménagement et de gestion des eaux institués par la loi sur l'eau de 1992. Au nombre de 12, ils fixent pour six ans les orientations qui permettent d'atteindre les objectifs attendus en matière de "bon état des eaux".

SAGE
 : schéma d’aménagement et de gestion de l’eau institué par la loi sur l'eau de 1992. Il vise la gestion équilibrée et durable de la ressource en eau.

SCoT
 : schéma de cohérence territoriale au service d'une planification stratégique intercommunale.

PLU et PLUi
 : plan local d’urbanisme et plan local d’urbanisme intercommunal.



1 Complètement terminé en 2017, l’aménagement des espaces définis dans le périmètre ANRU de la ville a contemplé une surface d’espaces publics et privés de 70 hectares (soit le ¼ de la ville).

2 Établi sur une superficie de 32 hectares, l'écoquartier Ginko comprend 2 700 logements et héberge 7 000 habitants. Il est composé d'une trentaine d'îlots de trois ou quatre bâtiments collectifs. Il est en cours d’achèvement.