« Recyclons la ville sur la ville ! »

Point de vue - Le 21 janvier 2021


Arnauld Delacroix est paysagiste concepteur et dirige depuis près de 20 ans l’agence TALPA, spécialisée dans la conception et la maîtrise d'œuvre de projets d’aménagement écologique, et plus récemment, l’entreprise ALATACC, vouée en recherche et développement pour la transition écologique et l’adaptation des villes aux changements climatiques. Il a conçu de nombreux projets dont certains primés aux Victoires du Paysage (2 en 2018, 2 en 2016 et 1 en 2012).

Arnauld Delacroix. DRVous explorez de nouvelles pistes de conception qui mènent vers des aménagements originaux, attrayants, écologiques et économiques… Comment cela se concrétise-t-il dans le cadre d’un projet de cours oasis ?

La nature en ville peut être partout : sur un parking, le long d’une rivière ou… dans une cour d’école. Depuis longtemps, je suis convaincu que ces dernières doivent évoluer en ce sens. J’ai donc réfléchi à des revêtements alternatifs, perméables, végétalisés et 100 % écologiques, pouvant remplacer le goudron et le béton, qui ont finalement pu être installés dans le cadre du programme Oasis à Paris.

Celui-ci est géré pour la conception et la maîtrise d’œuvre par les architectes de la Ville de Paris et ceux du CAUE 75. Pour ma part, je suis intervenu comme force de conseil pour aider à végétaliser une des cours du 13ème arrondissement, La Petite Fabrique du groupe scolaire d’Ivry-Levassor. L’école était déjà construite en bois avec une isolation en paille, preuve de la volonté de la collectivité à faire évoluer les choses.

Arnauld Delachroix. © Aliénor Delacroix / DR.

Mes échanges sur le projet ont commencé en 2018 ; j’ai suivi son évolution jusqu’en 2020. Mon rôle était de familiariser les architectes aux notions de vie du sol, de saisonnalité par exemple, tout en leur précisant à quel moment faire les semis et comment préserver les plantules qui commençaient à sortir du sol (stade où la plante est particulièrement fragile). Ainsi des procédés de joints végétalisés entre pavés ou de mélanges pré-ensemencés permettant la mise en place de cheminements végétalisées ont été mis en place (© Pavévert et Chaussée végétale). Les architectes ont ensuite fait le relais avec les entreprises de travaux publics en charge du site. Nous avons abouti à une cour 100 % perméable, avec de nombreuses plantations.

Il est fondamental de confier ce type d’aménagements à des entreprises sensibilisées aux notions d’écologie et de paysage !

Quels avantages mais aussi quels points de vigilance présente une cour végétalisée ?

Il faut comprendre que les cours d’école, en général, sont des milieux très anthropisés, au moins depuis les années 1950. On a souvent affaire à des espaces déjà existants qu’il faut remodeler. Il est très rare de créer de toutes pièces une cour d’école à partir d’espaces naturels !

On se retrouve face à un étalement de goudron stérile duquel on doit partir pour constituer un milieu vivant. Nos procédés permettent de recycler la ville sur la ville ; l’ancienne cour constituant les fondations de la nouvelle en la décaissant, la concassant et en l’utilisant comme base pour réaliser les couches de structure. Cela permet à la cour de revivre de façon écologique et de gérer l’infiltration des eaux de pluie (qui génèrent une évapotranspiration par les végétaux). La question de la diminution des îlots de chaleur est aussi primordiale. Tous ces aménagements paysagers renforcent parallèlement la connexion des enfants à leur environnement.

On ne peut plus se contenter aujourd’hui de quelques aménagements simples comme une mare pédagogique ou un potager. Le concept de ville nature va bien au-delà.


© Arnauld Delacroix / DR.

Y a-t-il des freins du côté des collectivités pour convaincre de l’intérêt de ces aménagements ?

Selon mon expérience, les parents d’élèves semblent accepter plus facilement que leurs enfants se salissent dans la cour de récréation d’une grande ville qu’en zone rurale ! Les projets sont encore plutôt citadins. Parfois, les professeurs s’y opposent pour des questions de propreté des locaux alors que le but n’est pas de faire des cours d’école en terre où les jeunes seraient couverts de boue : on dispose fort heureusement Pour parer à ces freins, on réduit au minimum les risques (glisser sur les revêtements, dans la boue ou même chuter dans l’eau). Initialement, la demande émane d’ailleurs souvent du maire qui est potentiellement l’élu le plus sensible à ces problématiques globales de nature en ville. Il s’agit ensuite de faire de la pédagogie auprès de l’école, des enseignants, des parents…

À quels autres dispositifs de cours oasis ou similaires avez-vous récemment collaboré ou sont en cours actuellement ?

Mon travail pour le Jardin du Clos-Coutard à Saumur, attenant à une école, a été récompensé en 2019 du prix Water Resilient Cities. Il s’inscrivait dans un plan de rénovation urbaine d’un quartier sensible lancé en 2016. Le terrain vague a été transformé en espace naturel à la fois écologique et ludique qui accueille régulièrement les élèves de l’école : un terrain d’aventure pédagogique, intergénérationnel et conçu pour accueillir la biodiversité. Le site est aménagé de manière à infiltrer les eaux pluviales (ville éponge), grâce à un sol vivant et perméable. Ce système est parfaitement transposable au sein d’une cour d’une école directement.

Je travaille par ailleurs sur un projet scolaire prometteur en Vendée, en attente de subventions, et sur un autre dans le Maine-et-Loire, en suspens précisément en raison des questionnements que ce type de propositions soulève.
Mais j’ai espoir que la situation évolue favorablement car le bien-fondé de la démarche convainc de plus en plus de monde !

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Enquête - Le 21 janvier 2021

Initialement lancé à la suite de l’adoption de la Stratégie de résilience de la Ville de Paris et du Plan climat (2017), le programme Oasis vise à doter les cours d’école, lieux généralement très minéraux, de nature. L’objectif ? Créer des espaces rafraîchis et lutter contre les îlots de chaleur.

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